Impacts sur les producteurs laitiers
Moussa Dicko est un éleveur et producteur laitier qui a plusieurs années d'expériences. Selon lui, l'élevage est une pratique ancestrale pour les Peuls. Avec le réchauffement climatique, les Peuls nomades deviennent de plus en plus sédentaires. De nos jours, se déplacer avec les troupeaux pour le pâturage n'est pas facile en raison de l'insécurité et du changement climatique. Par conséquent, ils s'orientent progressivement vers la race améliorée de vaches laitières grâce à la technologie d'insémination artificielle. Mais malgré une technologie améliorée et de meilleures méthodes d'élevage laitier, rien ne pouvait protéger les producteurs de la crise actuelle que Moussa Dicko décrit comme la pire de son existence.
Je n’avais jamais connu une crise pareille durant toute ma vie. Nos troupeaux sont nourris grâce à la production du lait. Nos vaches produisent du lait tous les jours; et pour nous, le lait n’est pas fait pour être conservé, il doit être consommé. Mais avec la baisse des quantités prises par les centres de collecte, nous ne savons plus quoi faire avec nos laits. Depuis le début de Covid-19, notre lait est gaspillé.
Quant à Oumar Barou Sy, un jeune producteur laitier, c'est surtout la mobilité qui a causé le grand souci. Même s'ils continuent à produire du lait, les principaux clients grossistes ne venaient plus s'approvisionner auprès des centres de collecte en raison de la restriction des mouvements. Toutes les quantités qu'ils produisaient pour la vente de nuit ont été gaspillées à cause du couvre-feu.
Défis dans les centres de collecte et de traitement
Dans les centres de collecte et de traitement du lait, le port obligatoire de masques pour le personnel et les livreurs de lait, le lavage des mains au savon ainsi que la distance réglementaire entre les personnes étaient les nouveaux modes de vie. Au-delà de toutes ces mesures, la quantité de lait à collecter devenait de plus en plus élevée par rapport à la quantité demandée par les revendeurs. La perte était énorme. Issa Fomba, le responsable du centre de collecte de Kassela explique :
Tous ceux qui achetaient du lait ici ont diminué la quantité qu'ils prenaient dans le passé. Nous sommes passés de 3600 litres à 2600 litres par jour. Cette perte est énorme pour la coopérative.
Pour minimiser les pertes au centre, les membres ont décidé de rejeter le lait des non-membres de la coopérative. Issa Fomba ajoute :
Nous ne pouvions plus accepter toutes les quantités de lait fournies au centre. Par conséquent, nous avons d'abord demandé aux producteurs de réduire les quantités. Ensuite nous avons cessé de prendre le lait des non-membres de notre coopérative. Certains producteurs étaient mécontents. C'est aussi un grand risque pour nous, car certains peuvent ne pas nous revenir lorsque tout redevient normal.
Lassana Sissoko est le gérant d'un autre mini centre de collecte situé à Diatoula, en périphérie de Bamako. En temps normal, la production du centre avoisine 4000 litres de lait par jour. Mais avec la pandémie de Covid-19, le centre ne vend que 300 litres par jour. Par conséquent, ils ont également commencé à rejeter le lait de leurs principaux fournisseurs, faute de moyens de conservation.
Nos ventes ont beaucoup baissé. En plus du couvre-feu mis en place pendant la nuit, notre clientèle a considérablement diminué. Nous ne pouvions pas non plus conserver tout le reste du lait, car les coupures d'électricité étaient fréquentes.
Aux kiosques et autres points de vente
Dans la société traditionnelle malienne, toutes les activités liées à l'élevage ou au lait sont attribuées aux Peuls. Mais de nos jours, tout le monde en tire profit. C’est le cas de Mme Fanta Demba, une quinquagénaire revendeuse de lait, et non moins membre de
TRANSLAIT. Selon elle, vendre du lait est plus qu’un business.
Je ne suis pas Peule. Je suis une griotte, donc j’ai le verbe facile pour parler aux gens. J’ai tout eu grâce à cette activité de vente de lait. Par exemple, j’ai pu payer la scolarité de mon fils, qui s’élève à 800 000 FCFA ($1,436) par an. Le fait d’avoir pu réaliser cela me comble à suffisance.
Bien que Fanta soit fière de son entreprise aujourd'hui, elle était sous le choc à l'annonce des premiers cas de Covid-19 au Mali.
J’ai failli être traumatisée au début, quand je voyais tous ces décès à la télé; et la vitesse à laquelle le virus se propageait. Après, je me suis remise au bon Dieu
Tout comme les producteurs et les collecteurs, les revendeurs ont également enregistré une forte baisse au niveau de leurs activités. C'est surtout leur chiffre d'affaires qui a complètement baissé. Hady Diallo est un revendeur de lait à Bamako. Il emploie 14 jeunes, tous pères de familles. Aujourd'hui, il envisage d'en licencier certains, jusqu'à la fin de la crise, mais il a du mal à se décider, car chacun d'eux s'occupent leur famille grâce à cette activité.
L'impact de Covid-19 nous a causé de grandes souffrances. De nombreux clients ont arrêté d'acheter le lait. Certains de mes potentiels clients ont même dû me dire qu'ils étaient méfiants parce qu'ils ne savaient pas comment se faisait le conditionnement. J'envisage aussi de libérer certains de mes travailleurs jusqu'à ce que cette crise passe.
Une autre crainte de Hady Diallo est le nombre élevé de fournisseurs de lait. Certains sont prêts à vendre leur lait à de très bas prix, pourvu qu’ils s’en débarrassent. C’est ce qui va détruire le marché du lait.
Innover pour surmonter les défis
Malgré la gravité de la situation, les femmes de
TRANSLAIT ont rapidement envisagé des mesures pour mener à bien leurs activités. Suivant les recommandations des autorités locales, le syndicat a suspendu toutes ses réunions mensuelles, ce qui exigeait la présence physique de tous les membres. Une nouvelle plate-forme de communication a été créée. Mme Badiallo Dramé, Présidente de la coopérative déclare :
Lorsque les rencontres physiques ont été interdites, nous avons adopté la communication via WhatsApp. Toutes les membres sont informées sur le groupe que nous avons ainsi créé. Mais la lacune était au niveau de la collecte des cotisations. Présentement, nous sommes en train de voir la possibilité de pouvoir payer les cotisations via les services mobile money.
En dehors de la pandémie de Covid-19, les vendeurs de lait sont habitués à enregistrer une énorme quantité de lait invendu pendant la saison des pluies. Une croyance locale fait penser que la consommation du lait frais en saison hivernale peut donner le paludisme. À ce jour, TRANSLAIT et 2SCALE prévoient d'organiser des campagnes de sensibilisation sur les vertus de la consommation du lait local, et de faire comprendre aux gens que le lait frais ne donne pas le paludisme. Une stratégie marketing est également en cours d'élaboration pour faciliter l'écoulement du lait en toutes saisons.